Je reproduis ici un post fait sur la page facebook de ce blog, en guise de commentaire succinct sur ce nouvel épisode la politique ougandaise qui engendre déjà des réactions dans la presse occidentale. Le sujet mérite un développement plus approfondi, et normalement je posterai quelque chose de plus conséquent bientôt. En attendant, voici quelques mots.
Étant donné que l’Ouganda a vraisemblablement l’intention de relancer son projet de peine de mort pour motif d’homosexualité, vu d’occident, sachant que la presse commence déjà à en parler, on peut hélas présupposer qu’on aura une nouvelle fois droit à, dans l’ordre du potentiel de nuisance, 1) des occidentaux scandalisés qui vont s’ingérer/menacer et contribuer à aggraver le problème pour les locaux, 2) des gens qui vont prêter au gouvernement ougandais une posture anticoloniale, ce qui est très discutable.
On peut au contraire voir ici, pour tenter de reconquérir la population, une stratégie politique opportuniste d’un président et d’une classe politique aux abois face à la montée en puissance d’un opposant, Bobi Wine, qui mobilise les classes populaires, une partie de la jeunesse, et met en cause l’accaparement des richesses du pays par l’élite. Il faut donc réfléchir à la fonction politique de la mobilisation de cette question. Les élections sont en 2021 et la campagne est déjà clairement lancée du côté de Bobi Wine, et donc du président en place qui cherche comment se positionner. A défaut de redistribution des richesses et d’un véritable anticolonialisme politique et économique, il n’a qu’une carte à jouer comme souvent : celle des valeurs et du nationalisme. De la même façon qu’au Nord, les bourges au pouvoir sortent la carte « islam/immigration/identité nationale » pour fédérer « le peuple » ( = les blancs) autour du nationalisme et pas des antagonismes de classe, certains pays utilisent la carte « homo » pour faire pareil. Voir à ce propos les travaux de Patrick Awondo travaillant entre autres sur la mobilisation des questions de sexualité dans le champ politique de divers pays africains et il montre comment, je résume rapidement, 1) les ingérences occidentales sont hautement néfastes, pour ne pas changer 2) comment des gouvernements africains peuvent utiliser ce sujet pour réprimer des opposants, discipliner des classes populaires etc. Ce ne sont pas forcément des preuves avérées qui aboutissent aux condamnations, mais aussi des accusations ciblées répondant à des motifs politiques ou sociaux de contrôle. Bref, c’est de la politique de « castes » souhaitant se maintenir au pouvoir.
ça marche d’autant plus que l’occident a vraiment une posture coloniale à travers des Etats qui détruisent à tout va des pays pour s’accaparer leurs richesses, mais menacent de sanctions quand ça les chantent tel ou tel parce que dit homophobe (sanctions qui ne sont par exemple pas dirigés vers leurs amis saoudiens pas hyper connus pour être « pro gays »…business is business), ou via des orgas militantes euro américaines qui lancent des campagnes totalement déconnectées, ou encore des ONG qui financent des programmes sur la sexualité qui s’inscrivent clairement dans l’imposition d’une vision occidentale etc; tout ceci étant à réinscrire dans la façon dont la mobilisation des « droits de l’homme » (tels que définis par les occidentaux pour leurs seuls intérêts), participe du néocolonialisme. Mais il me semble malgré tout important de ne pas faire d’équation simpliste voulant que si l’intervention de l’occident est coloniale sur le sujet, ça signifie que la réaction du gouvernement ougandais est nécessairement anticoloniale. Non, ils sont « anticoloniaux » quand ça les arrange (certainement pas sur le tourisme par ex…), ce ne sont d’ailleurs pas les seuls à faire preuve d’une apparence de fermeté sur la question, mais en cachette à vendre les terres et ressources de leurs pays à des multinationales occidentales, à signer des contrats pour que tel armée du nord ait une base chez eux, etc.
Bref, c’est un exemple (avec des conséquences dramatiques) de la façon dont la sexualité est un enjeu des rapports nord/sud, entre un nord conquérant et un sud dominé où chacun a bien compris la façon dont il peut en tirer un profit (s’afficher pro gay pour les uns, s’afficher anti gays pour les Autres) ; profit évidemment asymétrique puisque d’un côté on a des pays néocolonisateurs, de l’autre des pays néocolonisés.
Mise à jour 13/10/2019 : j’ajouterais au post initial deux points sur lesquels on peut aussi réfléchir.
1) l’exemple de la peine de mort comme motif d’ingérence politique extérieure illustre bien l’asymétrie des rapports Nord/Sud puisqu’il n’y a par exemple pas à ma connaissance de mobilisations internationales d’Etats ou institutions supranationales pour sanctionner les USA qui la pratiquent encore, dans un contexte où ce pays à lui seul concentre 25% de la population carcérale mondiale, alors que sa population générale ne représente que 5% de celle sur la surface du globe.
2) Outre la question spécifique de l’impérialisme sexuel, en particulier dans sa forme dite homonationaliste, cette façon qu’ont les médias, politiques et militants occidentaux d’intervenir sur ces épisodes violents de la politique ougandaise (ou africaine plus généralement) montre à quel point les occidentaux ne parviennent pas à appréhender les Africains comme des êtres politiques dont les sociétés sont traversés par des conflits à analyser comme des rapports sociaux. Non, dans cette conception eurocentrée, l’Africain ne serait que « culture » – une version réductrice et raciste de ce qu’on entend par « culture ». Ici c’est la « culture » inférieure, à laquelle on s’attacherait de façon primaire, et qui est contraire à la rationalité politique. Sur d’autres sujets on présente par exemple fréquemment certains conflits comme avant tout « ethniques » alors qu’ils sont en réalité motivés par des logiques d’appropriation de telles ressources, qui certes opposent différents groupes ethniques, donc les termes de l’opposition en prendront le langage, mais il faut aussi donner de l’importance à la dimension politique de ces affrontements. Qui veut s’accaparer quoi contre qui. Et bien sur la question de la sexualité c’est pareil, les analyses occidentales des conflits internes aux sociétés africaines sur la question les vident de leur sens politique : l’Africain serait avant tout homophobe, et implicitement, culturellement arriéré, ainsi les dynamiques internes aux sociétés dans lesquels ils évoluent ne s’expliqueraient que par sa « culture ». Il est donc nécessaire que les discours anti impérialistes ne reprennent pas ce prisme raciste en affirmant que cet épisode serait motivé pour « défendre la culture » sans voir les logiques proprement politiques à l’oeuvre.