Le 20 Mars 1967, Vladimir Snrsky, installé en Guadeloupe, agent électoral de l’UNR (parti gaulliste), connaissance de Foccart, grand nom de la Françafrique, lâche son chien sur Raphaël Balzinc, cordonnier installé devant son magasin à Basse-Terre, et profère des insultes racistes à son encontre. Un attroupement s’est formé en soutien à Balzinc. Le magazin de Snrsky a été saccagé et sa voiture renversée (cf la photo). Des révoltes ont aussi lieu le lendemain, dès le matin. A la demande du préfet Bolotte, des gendarmes venus de France sont mobilisés. Le préfet organise également le départ pour la France de Snrsky dans son avion de fonction (tout en faisant mine de condamner son acte raciste). Un des points à retenir c’est la construction d’un ennemi intérieur- « les communistes », mais surtout le « GONG », mouvement indépendantiste créé en 1963- dans les discours des représentants de l’Etat, alors même que les travaux sur le sujet montrent que rien ne permet d’affirmer que le GONG aurait eu un rôle moteur dans les révoltes. Il s’agit néanmoins de l’interprétation du préfet Bolotte, relayée par Foccart dans une note à de Gaulle.
La trajectoire de Bolotte permet entre autres de comprendre cette lecture des événements: après avoir quitté la Guadeloupe une première fois, il passe par l’Indochine, puis l’Algérie, et a été affecté à différents postes. En 1952 il rejoint le cabinet du ministre d’Etat en Indochine. De 1955 à 1956 il a été sous préfet en Algérie, et par la suite, directeur du cabinet du préfet d’Alger. Il écrit dans ces mémoires que l’expérience algérienne lui a donné « la possibilité de mettre en action ce que (lui) avaient appris les affaires d’Indochine »… On a donc ici un personnage qui, avant son retour en Guadeloupe, a eu une expérience de circulation impériale dans la contre-insurrection et la répression des mouvements anticoloniaux, et qui comme bon nombre, a été marqué très négativement par la lutte de libération nationale victorieuse des Algériens. De retour en Guadeloupe et nommé préfet en 1965, c’est dans cet esprit qu’il appréhendait les événements sur place, ne voulant pas voir se répéter ce scénario algérien, à savoir, le risque d’une perte de la Guadeloupe. Cette crainte d’une révolte sous la forme d’une lutte « totale » armée comme celle menée par FLN-ALN, semblait toutefois infondée, au vu de la réalité des forces politiques sur place.
Quoiqu’il en soit, cette perception d’une insurrection organisée et non spontanée en fin mars 1967, appelant à un soulèvement plus prononcé à venir, servait à renforcer la diabolisation du GONG et justifier du point de vue officiel d’être prêts à réprimer. Il faut notamment savoir que mars 1967 c’est aussi le référendum du 19 de ce même mois sur le maintien ou non de la « Côte française des Somalis » dans la République, et après lequel des manifestations à Djibouti ont été sévèrement réprimées. Foccart dans sa note à de Gaulle estimait que le GONG en Guadeloupe voulait instrumentaliser cette affaire lors des propres événements de mars sur l’île. Cela illustre une fois de plus, chez les représentants du pouvoir, le sentiment – parfois fondé, d’autres fois non – d’une menace généralisée, coordonnée, des populations colonisées, contre les intérêts français.

Voilà pour ce petit résumé de mars 1967, évènement précédant donc les grèves et révoltes de Mai 1967, qui elles sont d’une autre nature (il s’agit conflit salarial à l’origine) mais seront perçues autant par les acteurs des luttes que par les forces répressives, comme étant liées et faisant partie du même problème d’exploitation coloniale et de racisme pour les premiers, et de « prévention » d’une insurrection de la part d’éléments « subversifs » pour ceux du côté de l’ordre… A ce propos d’ailleurs l’homme sur la photo, Guy Maillard, tentant de calmer les Basse-Terriens révoltés, c’était le sous-préfet de l’époque (qui deviendra préfet de 1978-1982; comme quoi, recyclage des mêmes éléments…). Interrogé en 2009 quant à l’absence de sources *officielles* sur le nombre de morts à la suite des massacres de 1967, il répondit, selon Le Monde, qu’il n’estime pas qu’il soit supérieur à 7, mais avoue tout de même ne pas avoir « spécialement cherché » …
En attendant de parler de la séquence de mai, voici des supports de qualité qui abordent aussi celle de mars:
▶️ sur Oliwon Lakarayib vers 23min avec les historiens Jean-Pierre Sainton et Maël Lavenaire-Pineau. http://tinyurl.com/yky2fpe5
▶️ sur Collectif Cases Rebelles http://tinyurl.com/m4efhvny
▶️ Rapport stora pp.37-38 https://tinyurl.com/33xzzca2
Bonne lecture ! (source photo : http://ugtg.org/spip.php?article445 / sur l’extrait des mémoires de Bolotte, voir Mathieu Rigouste: https://www.bastamag.net/Des-massacres-oublies-de-mai-1967-en-Guadeloupe-aux-premices-de-l-ordre)
Mise à jour: 21.03.2021; 17h57.
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