La contre-offensive raciste

Le problème posé par la manifestation impressionnante du 2 juin contre les violences policières et l’impunité qui en découle, était, nous disait-on, que des noirs avaient traité de « vendu » un policier, lui aussi noir. Scandale. Condamnations fermes, proliférations d’articles, débats à la télévision. Surtout, plainte de l’intéressé et même de la Préfecture de police. La République se dressait alors contre le « racisme » des noirs entre eux-mêmes, avec, in fine, cette conclusion : les noirs se traitent mal entre eux, pourquoi donc reprocher à la police les mauvais traitements, fussent-ils mortels, qu’elle leur inflige ?

Une semaine plus tard, le problème posé par la mobilisation du 13 juin, toute aussi impressionnante, c’est, cette fois que quelqu’un a proféré l’insulte suivante : « sale juifs ». Valeurs actuelles, torchon raciste et notamment antisémite crée la polémique, relayée de nouveau par la Préfecture de Police. Scandale bis. Là encore, nous sommes invités à une conclusion similaire : ceux qui manifestent contre les violences policières sont antisémites – ou du moins les tolèrent – pourquoi donc, là encore, faire le procès de la police ?

Dans un cas comme dans l’autre en somme, le « vrai » racisme, ce serait « eux », les manifestants, et notamment, les noirs, arabes et banlieusards qui les composent. Pas la police.

Comment analyser ces polémiques ?

La République découvrirait-elle les insultes qui fusent en manif ? Et uniquement dans ces manifs-là d’ailleurs ? Pas dans celles des policiers, par exemple ? Pourquoi pas. La responsabilité des propos tenus en manif incombe difficilement aux organisateurs, dès lors qu’ils n’ont pas été prononcé au micro. Mais soit, les insultes d’individus c’est pas bien. Sauf que la République, elle, ne veut toujours pas voir les coups et insultes (aussi en manif d’ailleurs), portées par sa police. Sans oublier la mort qu’elle inflige. Non, c’est le racisme d’individus, et ce, à l’intérieur de ces manifestations-là qui intéresse prétendument nos grands universalistes républicains. Pas le racisme d’institutions qui structurent la société. Faire d’insultes en manif une affaire d’Etat, incarné notamment par la Préfecture de police, tout cela n’a évidemment rien d’anodin. Ces polémiques de bas étages n’ont qu’un but : défendre la police, donc la République, et donc surtout la classe au pouvoir. Encore un rappel (pour ceux qui sauront le voir) que la lutte des classes se joue bien là, sur ce terrain-là qu’est le conflit racial, et pas « à côté ».

Ici les deux figures – le « bon » noir, assimilé à la République par sa fonction policière, et le juif – sont utilisées pour disqualifier le mouvement en cours, mais au-delà réaffirmer la légitimité de la fonction policière, et donc de l’ordre social raciste. Que reste-t-il donc dans la panoplie des armes pour discréditer le mouvement, et au-delà de lui, toute l’organisation politique contre le racisme républicain, à la fois comme structure d’Etat, mais aussi comme idéologie spécifique (universalisme français, etc) ? La médiatisation d’une insulte sexiste à une prochaine manif, et la fois d’après, d’une insulte homophobe ? Pas vraiment de suspens, le scénario est connu d’avance, et cette séquence tourne en boucle : l’antiracisme n’aurait pas lieu d’être car ceux qui le portent et qu’il défend concentrent à eux seuls toutes les tares sociales (appétit pour la violence physique, la délinquance, et incarnation de l’antisémitisme, du sexisme et de l’homophobie). Ces polémiques sur des insultes en manif sont là pour nous redire que l’antiracisme doit être combattu.

Le discours prononcé le 14 juin par Macron est à ce titre clair et peut se résumer comme suit : la République doit « intensifier » son combat contre le racisme, mais les antiracistes du genre de ceux qui mettent en cause la police sont des « séparatistes ». Contre qui va donc « s’intensifier » la version d’antiracisme de la République ? Contre ceux qui mettent en cause le racisme de ce régime et de ses institutions. Loin d’être un message d’apaisement, il s’agit d’une déclaration de guerre froide contre cet antiracisme que nous portons ; elle n’est pas nouvelle mais elle va, nous dit-il, s’intensifier.